Chaud ; il faisait vraiment chaud dans l’ascension du Col et l’ombre des arbres ne suffisait pas pour éviter le ruissellement sur nos fronts et dans nos yeux. Il faut dire aussi que la pente est rude. Le sentier sinue sans vraiment s’éloigner de la ligne la plus directe, d’abord dans la prairie du Daillex pour quelques minutes, puis à l’ombre des hauts sapins qui s’accrochent à la pente jusqu’au col.
Nous avions abandonné nos voitures à L’Etivaz devant la fromagerie, avec une petite arrière-pensée gourmande pour le retour, avant de nous engager sur le chemin en pente douce qui domine la route principale. Tantôt devant, tantôt derrière, nous devisions joyeusement, heureux de nous retrouver une douzaine pour cette longue randonnée au Pays d’Enhaut, dans une région que nous connaissons peu, bien que si proche et si belle aussi. Les pluies abondantes du printemps, qui avaient ruinés tant de weekends et de balades, n’avaient pas été nuisibles pour tout. Les eaux des ruisseaux étaient abondantes, rugissantes dans les secteurs les plus pentus et le terrain restait très humide, favorisant une végétation luxuriante, magnifiquement épanouie, laissant éclater son bien-être dans ses cinquante nuances de vert, chaleureux, accueillant, rafraîchissant dans la chaleur du moment. Et les fleurs aussi, comme si elles avaient oublié de se faner, toutes superbement épanouies, bleuets, orchidées, anémones, rhododendrons, trolls, gentianes, et mille autres encore, des rouges, des blanches, des bleues et des roses. Tout était magnifiquement en équilibre, sans fausse note, juste parfait.
Au fond de la prairie du Daillex, le sentier se raidit en plongeant dans la forêt et se met à zigzaguer serré entre les troncs, les myrtilliers encore sans fruit et quelques grosses pierres, forçant à lever haut le pied et plier fort la cheville. Alors, le souffle devient court et la sueur abondante ruisselle sur nos visages et trempe la visière de nos casquette. La particularité de l’endroit veut que la forêt couvre toute cette pente pour ne s’arrêter qu’à quelques pas du col, nous permettant de progresser totalement à l’abri du soleil. La chaleur reste éprouvante, certes, mais l’ombrage la rend supportable et on progresse bien, passant le petit chalet nommé Chalet neuf, bien qu’il date de 1830, pour grimper vers le long pierrier que borde encore la forêt. Et alors, après trois pas au soleil, on prend pied sur l’étroite crête herbeuse du Col de Base, à 1857m d’altitude, 700 m au-dessus de notre point de départ. Juste à notre gauche, proche comme à le toucher du bout des doigts, le Rocher du Midi nous domine encore, trois quarts d’heure au-dessus de nos têtes dans la fournaise alors qu’à nos pieds, l’herbe tendre parsemée de fleurs délicates nous invite au repos et à la paresse. Un peu plus bas, une belle tache d’ombre, derrière un petit rideau d’arbres, sur un petit promontoire dominant la vallée, achève de nous convaincre de laisser le sommet au profit d’une détente confortable.
Dès cet instant, nous sommes dans le vallon de la Pierreuse, au cœur d’une vaste zone de nature hautement protégée. Au loin, un jeune chamois remonte agilement un pierrier pour rejoindre un espace aérien herbeux ; voletant autour de Laurent, un papillon amoureux se pose sur un poil de sa barbe poivrée et le bécote affectueusement ; avec une vivacité gourmande, Taïga, la petite chienne Bichon de Janette happe le salami de Nadine ; François sert un verre de Petite Arvine autour de lui. A ce moment de la journée, chaque mouvement de vie apparaît en parfait équilibre, dans une espèce de bonheur absolu, en suspension dans un environnement et une atmosphère bienveillante que rien ne semble pouvoir bousculer, sinon plus tard l’arrivée de la nuit.
Plus tard, avant que nous ne nous abandonnions dans une léthargie profonde et irréversible, nous nous remettons en chemin. Le sentier, encore confortable et suffisamment doux au toucher permet à Laurent de continuer sa marche pieds nus, comme la quête d’un Graal improbable, qui nous apparaît comme une pénitence monacale moyenâgeuse. Le décor autour de nous est magnifique de beauté simple, de pierriers blancs, de falaises grises et de verdure fraîche. La combe de la Guérine est magnifique de pureté sauvage dans son cirque de montagnes abruptes et minérales. Les sommets alentours principaux, Les Salaires, le Biolet, la Gummfluh et le Rübli, forment une crête haute, une sorte de muraille circulaire, dont on semble ne pas pouvoir s’échapper. Chemin faisant cependant, l’herbe et la terre tendre font place à la caillasse. Laurent, en pénitent réaliste, chausse ses tongs histoire de ne pas trop imiter Jésus au Golgotha. Et on atteint la bifurcation des Paccots à 1240m.
De là, il faut une bonne dose de courage à chacun pour reprendre la direction du haut, vers le Scex Rouge, plus précisément vers l’alpage de Rodosex-Dessus à 1438. Bien que l’on soit à nouveau totalement dans la forêt dense, la chaleur est plus étouffante que dans la matinée et les sourires, un rien crispés, laissent entrevoir quelques faiblesses et une nuance de lassitude naissante. Bien que l’ascension s’effectue en un temps raisonnable, le pâturage du haut atteint, chacun s’abandonne volontiers quelques instants à l’ombre de l’imposant chalet. Ce point marque un basculement vers la vallée de Château d’Oex, que l’on découvre maintenant complétement, de Rossinière à notre gauche, à l’Ouest jusqu’à à Rougemont à notre droite. Au-dessus, la chaîne des Vanil Carré et du Vanil Noir , la Tête de Brenleire et de la Wandfluh, du Gantrisch et une foison de noms plus ou moins connus en « horn » et « fluh » à nous donner le tournis.
La Counesse, un peu plus bas, nous apparaît comme plus accueillante, par la proximité de la station du téléférique de la Braye, qui nous glisse en quelques instants vers une terrasse ombragée, où bière et limonade sont servies dans des chopes. Santé ! Conservation ! A la prochaine !
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