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Une brusque mélodie électronique inconnue retentit soudainement près de moi, me faisant sursauter intérieurement et tenter de retrouver mes esprits. Lancinante, la musique cesse, puis reprend. Dans la répétition stridente et agaçante ; je me situe enfin, dans un dortoir de Panossière. A côté de moi, quelques mouvements indiquent que mes compagnons émergent sans hâte. Dehors il fait froid et il va falloir y aller. Progressivement, dans le silence du réveil imparfait d’une nuit en altitude, nous rejoignons le réfectoire, l’un s’harnachant déjà de son baudrier, l’autre fouillant encore d’un geste imprécis le fond insondable de son sac ; mais pourquoi diable tout est-il toujours tout au fond du sac ? Dehors, le sommet du Grand Combin, seul ensoleillé à l’instant, resplendit de sa blancheur immaculée sur le fond bleu d’un ciel sans nuage.

Le ralliement pour cette dernière course à skis avait été une surprise. « What’s app » avait sonné le rappel à la manière des tambours de l’époque, en vibrant dans les poches, puis en résonnant dans notre esprit montagnard. Un, puis trois, finalement huit annonçaient leur désir de croiser le fer une dernière fois de l’hiver de nos carres émoussées, de tracer les pentes du massif des Combin régénérées par les dernières précipitations  et d’aller vérifier sur la crête là-haut si le Tournelon est bien aussi blanc que mentionné sur les cartes.

La montée de Fionnay à Panossière s’était déroulée sans grande surprise. En cette période d’arrière printemps, à cette altitude, les pentes hors glacier sont généralement dépourvues de toute neige, à l’exception de quelques taches à l’ombre. Cependant, au fond du Val de Bagnes, le tracé raide du Reposieu menant à Corbassière est orienté au Nord, limitant l’ensoleillement. Ainsi, après une heure, juste après avoir passé la petite rivière, le portage prenait fin. Une longue traversée dans les vernes et quelques virages inconfortables permettent ensuite d’atteindre une crête ronde suivie de petits ressauts doux et de petites combes, jusqu’au Plateau du Déjeuner (toute allusion à un site existant  ne serait que purement fortuite …). La petite tache verte dans l’immensité blanche,  semblait nous attendre, apparemment le seul  espace herbeux agréablement sec  et confortable dans ce coin du monde. De là, après une courte pause sustentatoire, le dilemme était : ou tenter le passage encore non tracé et non visible du bisse, menant sans perte d’altitude à la crête sous la cabane, ou descendre vers la rivière, la Dyure de Corbassière, deux cents mètres plus bas, pour remonter ensuite dans des combes raides et étroites. Méfiants comme Saint Thomas, nous choisissons la voie de la rivière.

Sur ce versant, l’exposition Sud a favorisé la fonte, principalement sur les longues dalles rondes, qui sont complètement dégagées. Skis sur le sac, on dévarappe quelques dizaines de mètres accroché à une chaine, puis on gagne le fond du vallon par un sentier étroit et incertain dans la moraine abrupte, entre mélèzes épars et cailloux instables, jusqu’à retrouver la neige au bord de la rivière. Quelques centaines de mètres plus loin, on se retrouve à pied d’œuvre pour regagner l’altitude perdue, zigzaguant dans les combes raides et étroites, la trace s’effondrant ça et là sous notre poids et dans les conversions délicates, procurant à l’observateur cruel des spectacles éphémères cocasses. Atteignant un replat, on aperçoit alors au loin un coin de toit dépassant la crête neigeuse. D’où nous sommes, il reste une heure jusqu’à la cabane, à progresser sur une longue arête de neige, effilée par endroit, qui fait penser au Biancograt de la Bernina, en plus modeste cependant. Les skieurs s’y inscrivent comme des ombres chinoises sur un panneau bleu ; c’est magique.

Le glacier de Corbassière est la rampe de lancement de toutes les ascensions de l’endroit. Tous les sommets ferment au loin ce large plateau, dominé au centre par l’imposante couronne du Grand Combin, garnie de ses trois pointes : le Combin de la Tsessette, le Combin de Grafeneire et le Combin de Valsorey. Le Tournelon Blanc ferme à gauche le plateau glaciaire. Un petit air glacial et cinglant nous fouette le visage par instant. Après la longue traversée plate, qui bute sur le premier rempart de séracs au pied du Grand Combin, on atteint la base de la pente raide et rectiligne des Mulets de la Tsessette. Cette face est coupée en son milieu de longues crevasses horizontales en quinconce, qui forment un labyrinthe étroit dans lequel on se faufile prudemment. Au sortir de cette zone, progressivement, la pente s’adoucit jusqu’à aboutir au Col du Tournelon à 3541 mètres.  On monte encore d’une centaine de mètres sur la gauche pour atteindre un premier point culminant, une bosse à 3626 mètres. Le Tournelon Blanc est alors dans l’alignement de cette crête, plus d’une heure plus loin, ce qui, en fonction de l’heure avancée, nous décide à renoncer d’aller plus avant.

De ce point-là, la descente est aisée et rapide. Les conditions de neige relativement fraiche et soufflée sont très plaisantes, seules quelques plaques plus dures nous malmenant de temps à autre. La descente s’effectue plus directement qu’à la montée, légèrement plus au Nord de notre trace de montée, dans une succession grisante de virages continus du plus bel effet. Une jolie signature pour marquer la fin de notre saison hivernale.